Le processus de composition

par Jonathan Pontier – compositieur

La réflexion entamée avec les commanditaires – chose nouvelle pour moi et si porteuse de sens – s’est d’abord déployée sur Mulhouse la ville, son histoire récente, en particulier migratoire, sa géographie, son enracinement alsacien, etc.
D’emblée, il m’a semblé intéressant de penser avec eux ce dispositif qui avait d’abord été pensé pour des artistes visuels, lesquels, s’ils transcendent le sens, sont susceptibles de partir d’une réalité visuelle et donc possiblement signifiante.
L’artiste visuel peut partir et rendre une réalité visuelle qui fait sens, le musicien propose une architecture sonore qui peut contribuer à faire sens à un niveau beaucoup plus intime, mais ne prétend ni “montrer” ni démontrer, à moins de s’accompagner de paroles (chanson, opéra, oratorio, etc).

Je proposais à chacun-e des commanditaires de partager “son” Mulhouse” avec moi. Kemal me présenta chacune de ses habitations qui le virent grandir depuis l’arrivée de ses parents de Turquie à Mulhouse. Itinéraire préparé avec conscience et finesse. Philippe me fit partager son plaisir des pâtisseries de la région, comme lorsqu’à l’âge de sept ans sa maman l’amenait à la ville depuis un des villages avoisinants. Khaled me raconta une certaine histoire des “cultures urbaines” mulhousiennes et l’âge d’or du hip-hop alsacien. Moussa, enfin, sa trajectoire dans la ville, en quête de cultures traditionnelles, de signes magiques et de griots alsaciens !

Alors, comment donner du sens à partir d’une discipline dont la matière première est le son ? Comment restituer Mulhouse en faisant à la fois œuvre personnelle et collective ?
De plus, à ce stade, je sentais qu’il serait utile de pouvoir esquisser, faire entendre, partager de la façon la plus flexible possible sans s’appuyer sur une écriture instrumentale qui dépendrait d’un orchestre hypothétique. Le médium électronique était tout indiqué.

J’avais enfin le sentiment que pour toucher une forme qui me plairait en tant qu’artiste et qui pourrait “parler” au plus grand nombre, il faudrait recourir à une forme universelle, une “convention collective” permettant d’entrer facilement dans ce labyrinthe mulhousien. Un format à la fois pop et orchestral serait approprié : liberté de ton, métissage des cultures et des musiques, audibles comme des signaux.Bref, la perspective de la composition en home studio, avec machines, synthétiseurs, guitares, serait le médium idéal pour promouvoir l’étude. Outil du populaire par opposition à l’outil aristocratique qu’est l’orchestre, façon aussi, pour moi, de “retourner à la maison”, puisque le home studio fut mon premier atelier de compositeur bien avant que je ne fusse en mesure d’écrire la musique et la transmettre aux orchestres.

Je me replongeais dans l’expérience orchestrale vue par les maitres de la culture pop des années 1970, “Journey into the secret life of plants” de Stevie Wonder en tête, expérience des premiers synthés polyphoniques, interludes japonais et africains, œuvre pionnière dans son approche d’une nouvelle écologie sonore…naïveté du trait assumée, pureté et féérie.
Dans cette forme de mémoire de l’adolescence, ce labyrinthe de l’enfance qu’allait représenter Mulhouse dans le cadre de cette œuvre, dans cette demande de joie, de fierté, de reconnaissance en somme, j’allais m’engager dans une acceptation sincère d’une forme de simplicité, une ligne aussi claire que les peintures du Douanier Rousseau qui se serait perd en divaguant sur les canaux d’une ancienne ville industrielle…

Dire enfin, à propos de la forme que prenait l’étude à mesure de sa composition, que les paroles échangées par les commanditaires lors des entretiens préliminaires ne relevaient pas de l’endroit où je les entendais – l’endroit du “transformateur”, celui qui recherche une voie par delà ces échanges – d’une recherche absolue de consensus. En effet, si les convenances obligent un groupe humain à “s’entendre” sur une parole convergente, les attitudes, les regards, les corps traduisent souvent autre chose. Je ressentais qu’au-delà des envies diverses, parfois unanimes parfois divergentes, que les commanditaires ont besoin, – au travers de l’œuvre -, de découvrir quelque chose, quelque chose que peut-être ils ne connaitraient pas de leur ville, et qu’un “étranger” allait pouvoir paradoxalement leur livrer. Ils auraient besoin d’être surpris.

Ainsi, dans le processus d’écriture, allait apparaître, comme en miroir des personnages rencontrés, comme par procuration, des fragments de ces envies, paroles, souvenirs échangés. Un morceau serait pour moi, symboliquement, le morceau de Kemal, l’autre, le morceau folklorique alsacien, l’autre celui de Moussa, l’autre enfin celui de mes balades nocturnes…

 

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